Les premiers fusils d’assaut soviétiques : sur la voie de la AK 47 Kalachnikov

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On ne rappellera jamais assez que le célèbre fusil de Mikhaïl Kalachnikov ne doit pas grand-chose au Sturmgewehr allemand (StG 44 ou MP 44), le mécanisme des deux armes étant totalement différent. Du reste, Kalachnikov commence à travailler sur ses armes d’épaule dès l’automne 1941 (le StG44 n’existe pas encore !), alors qu’il est en convalescence après avoir été blessé au cours de la bataille de Briansk, et c’est davantage la carabine semi-automatique Simonov SKS qui l’inspirera pour le AK47.

 

L’étude des archives russes prouve par ailleurs que d’autres ingénieurs soviétiques talonnent leurs homologues allemands sur la voie du fusil d’assaut dès 1943. Tout d’abord intéressons-nous à l’AS44, conçu à la mi1944 par Soudaev, à qui l’Armée rouge doit déjà le pistolet-mitrailleur PPS43. Cette arme est chambrée pour la nouvelle munition intermédiaire (cartouche ayant une meilleure portée que la munition d’arme de poing tirée par les pistolets-mitrailleurs tout en étant moins encombrante et développant moins de recul que les munitions de fusil) mise au point l’année précédente par Alexeï Soudaev : la M43 de 7,62 x 41 mm, inspirée, elle, de la 7,92 mm kurz allemande. À l’instar du MP 44 allemand, ce fusil d’assaut utilise le même système de culasse que celui mis au point par les Tchèques sur leur fusil-mitrailleur ZB26 et un chargeur de 30 cartouches. Comme tous les premiers modèles soviétiques de fusil d’assaut, l’AS44 est lourd – un peu plus de 5 kg – et nécessite l’emploi d’un bipied, critère d’ailleurs réclamé par l’Armée rouge. Les recherches ayant été validées par cette dernière, une petite série d’une dizaine d’exemplaires est achevée au printemps 1945, les armes arrivant trop tard pour être testées lors des combats en Europe. En revanche, elles sont livrées à temps et mises à l’épreuve au cours de l’opération « Tempête d’août » en Extrême-Orient. Jugé trop lourd et moins précis que le fusil Mosin-Nagant, même s’il est préféré au PPSh41 par les fusiliers qui ont la chance de l’avoir entre les mains, l’AS44 voit son développement suspendu, d’autant que Soudaev tombe subitement malade en 1945 et meurt l’année suivante.

 

De son côté, Fedor Tokarev propose, dès le 21 novembre 1943, après à peine plus d’un mois de travail, une évolution de son AVT40 (version automatique du fusil semi-automatique SVT40) en fusil d’assaut, mais tirant lui aussi la nouvelle munition M43. L’arme peut utiliser la baïonnette du SVT40 et recourt à un système de tir automatique très simple reposant sur la position de la gâchette pour sélectionner le type de tir (semi- ou automatique). Après une série d’améliorations portées à partir de décembre 1943 par Tokarev à son prototype et un développement assuré par le bureau OKB16 de Nudelman à Moscou, un premier exemplaire définitif de l’AT44 est présenté le 7 mai 1944. Toutefois, malgré sa conception proche de celle de son prédécesseur (lui aussi a recours à un bipied en bout de canon), l’arme ne franchit pas la phase des tests de juillet, puis décembre, en raison de son manque de précision et de fiabilité, et elle ne dépasse pas le stade du prototype.

 

Même chose pour le Korovine AK44, qui, lui aussi, restera un prototype, d’un genre particulier d’ailleurs, puisque vraisemblablement doté uniquement d’un mode automatique. Korovine proposera en 1945 ou 1946 (les sources divergent sur l’année) un fusil d’assaut d’un nouveau genre, l’AK45, adoptant la formule Bullpup – une configuration destinée à réduire la longueur totale de l’arme sans sacrifier celle du canon –, avec le chargeur positionné derrière la poignée de tir. En dépit de sa silhouette en avance sur son temps, et de sa crosse et de son magasin en duralumin allégeant encore son poids, le Korovine AK45 ne franchit pas le stade des tests.

 

Gueorgui Chpaguine, père du célèbre PPSh41 et coconcepteur de la mitrailleuse lourde DShK de 12,7 mm, planche quant à lui sur une conversion de son pistolet-mitrailleur en fusil d’assaut, l’arme étant également baptisée AS44. Mais son mécanisme de culasse est jugé trop lourd, ce qui occasionne à chaque tir des problèmes de contrôle de l’arme, si bien qu’après 315 cartouches tirées lors des essais, l’AS44 est logiquement rejeté de la compétition avec les armes évoquées cidessus.

 

Signalons aussi, quoique plus anecdotique, le Bulkin AB44, caractéristique avec son chargeur positionné audessus de la boîte de culasse à la façon du BREN britannique, ce qui en fait un prototype singulier par rapport à tous ses concurrents. L’arme suivante de Bulkin, l’AB46, sera, elle, beaucoup plus classique, et sa forme évoque immédiatement celle de l’AK47 de Kalachnikov.

 

Enfin, il existe des clichés de trois autres prototypes, tous équipés du bipied, mais sur lesquels aucune information technique n’est disponible : l’Avtomat d’Alexandrovitch et d’Ivanov, l’Avtomat d’Alexandrovitch et de Kachtanov et le fusil d’assaut de Kuzmishchev.

 

De son côté, Mikhaïl Kalachnikov, autorisé à accéder à l’atelier de l’hôpital lors de sa rééducation après sa blessure durant la bataille de Briansk, fabrique à la main le prototype d’un pistolet-mitrailleur à crosse repliable, qu’il présente aux services techniques de l’Armée rouge. L’arme est rejetée, car déjà dépassée face au PPS-43 au moment où elle est soumise aux autorités. La créativité du jeune sergent ingénieur attire toutefois l’attention du comité de l’Artillerie qui l’affecte, dès sa sortie de l’hôpital, comme sous-officier technicien au polygone d’essais de Kourovo, dans la banlieue de Moscou, où sont testés les prototypes des futures armes d’infanterie de l’Armée rouge. En 1944, Kalachnikov réalise le prototype d’un fusil semi-automatique qui ne fera pas le poids face à son concurrent, le SKS de Simonov promis à un bel avenir. Néanmoins, inspiré par ce dernier, mais aussi et surtout par l’exemplaire capturé d’un fusil d’assaut MK 42(H) allemand (premier nom, avant de menues modifications, du StG 44) qu’il a eu entre les mains durant la guerre et dont il ose quelques emprunts à son ergonomie et à sa configuration générale, Mikhaïl Kalachnikov réalise à la main, sur la base des croquis qu’il fait tracer à son épouse Katia, une jeune dessinatrice industrielle (Mikhaïl ne sait pas dessiner), une arme révolutionnaire qui sera bientôt connue du monde entier par sa désignation en deux lettres et deux chiffres : le fusil d’assaut AK-47. Kalachnikov entre alors dans la légende...

 

 

Par Yann Mahé

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