Le rôle délicat de la FORPRONU, cette force de protection des Nations unies déployée dans les Balkans en 1992 pour séparer les factions croates, serbes et bosniaques et créer les conditions de paix nécessaires à un règlement de la crise yougoslave, est apparu aux yeux de la population de l’Hexagone à la faveur du sacrifice des soldats français sur le mont Igman et dans la région de Sarajevo. D’autres contingents de casques bleus ont subi des attaques virulentes de la part des différentes milices, notamment les Scandinaves prêts à faire parler la poudre dans les situations les plus explosives !
Chargé de la protection de la ville bosniaque de Tuzla, et de son aéroport, que se disputent Serbes et musulmans bosniaques, le bataillon scandinave de la FORPRONU (Nordbat 2), regroupant Norvégiens, Suédois et Danois, est sous la pression constante de la brigade serbe « Šekovici ». Bien que régulier, ce harcèlement n’inquiète pas outre mesure le colonel Svensson, qui sait pouvoir compter sur les 10 chars Leopard 1 de l’escadron du Jydske Dragonregiment danois (lieutenant-colonel Lars R. Møller) et ses transports de troupes Pansarbandvagn 302. Pour parer à toute éventualité, ses casques bleus sont d’ailleurs rompus aux bonds offensifs, Svensson ayant conçu l’opération « Bøllebank » visant à poursuivre les assaillants chaque fois qu’une attaque était portée contre Tuzla. Cependant, depuis l’adoption de cette tactique, les Serbes décrochent systématiquement après chaque attaque pour éviter l’affrontement…
Toutefois, dans la nuit du 29 au 30 avril 1994, la situation du petit poste d’observation suédois Tango 2, installé dans le village de Kalesija, à une vingtaine de kilomètres de Tuzla, devient intenable. Ses sept occupants sont soumis, pour la 28e fois, au pilonnage des pièces d’artillerie de la brigade « Šekovici ». Sauf que les canonniers serbes mettent cette fois‑ci le paquet. Les Suédois lancent par radio un message de détresse à 22 heures. Svensson réagit aussitôt en mettant sur pied une colonne blindée de secours rassemblant les 1er et 2e pelotons de l’escadron blindé danois, soit sept Leopard 1A5DK (les trois autres, du 3e peloton, sont tenus en réserve), auxquels s’ajoute un PBV 302, le tout manié par 30 hommes commandés par le major Carsten Rasmussen.
La colonne se met en branle, et à peine pénètre‑t‑elle dans le village de Saraci à 23h15 qu’elle est la cible de jets de grenades et de tirs à l’arme automatique. Forçant l’allure, les blindés scandinaves, imperturbables, poursuivent leur route vers Kalesija, toujours sous le feu ennemi. Mais en sortant de Saraci, la situation se corse, car les miliciens serbes de la « Šekovici » semblent résolus à leur barrer la route : ils tirent des missiles antichars AT‑3 Sagger ! Heureusement, les trois projectiles filoguidés manquent de peu leurs cibles. Bientôt, des tirs de mortiers et d’artillerie de campagne s’abattent autour des blindés scandinaves. Les Danois sollicitent un appui aérien, mais celui‑ci leur est refusé par la FORPRONU. Cette fois, pour Rasmussen, les Serbes ont franchi la ligne : « Quand nous fûmes attaqués par des missiles antichars, je pensai : « assez, c’est assez » et j’ordonnai aux chars de riposter sur les positions des lance-missiles antichars. » Prévenu de la situation, Møller estime que son escadron est en état de légitime défense : il autorise son subordonné à ouvrir le feu. Le 2e peloton de Leopard du Erik Kirk tire le premier sur les départs supposés des Sagger, mais les Serbes continuent de tirer au RPG‑7. Pendant ce temps, le 1er peloton de Claus Andresen traverse Kalesija et fonce sur Tango 2, se frayant un chemin à travers les lignes serbes à grands coups de 105 mm sur les collines environnantes. Les obus des Leopard sont pour le moins dissuasifs, car les Serbes finissent par cesser le feu sur le poste d’observation. Les Suédois sont sauvés : deux chars danois vont désormais rester auprès d’eux pour riposter en cas de besoin, jusqu’à ce que la FORPRONU décide d’évacuer le poste.
Quant au reste de la colonne de Møller, il se replie sur Tuzla en délivrant un feu d’enfer, causant de lourdes pertes aux Serbes. Trois T‑55 rameutés par la brigade « Šekovici » débouchent, mais leur sort reste incertain : les Danois certifient qu’ils n’y ont pas touché, ayant constaté à travers leurs lunettes thermiques que leurs moteurs étaient froids, et donc qu’ils ne manifestaient aucune hostilité. Toutefois, certaines sources prétendent que les Leopard les ont tous détruits. Le dernier obus, tiré par Jacob, canonnier du 2e Leopard du 2e peloton, pulvérise un dépôt de munitions, une gigantesque explosion illuminant la nuit.
En deux heures de combat, les Leopard danois ont tiré 72 obus (44 brisants, 19 perforants et 9 au phosphore) et montré aux Serbes de quel bois ils pouvaient se chauffer : outre de nombreuses pièces de campagne et un dépôt de munitions détruits, peut-être 3 T‑55, les Serbes reconnaissent officiellement 9 morts, mais les civils de la région apprendront aux Danois que l’explosion du dépôt de munitions a en fait tué plus de 150 miliciens. En face, le Jydske Dragonregiment ne déplore aucun tué ni blessé, pas un blindé n’ayant été perdu, même si le PBV 302 a été touché par une roquette qui n’a heureusement pas occasionné de gros dommages. Le premier combat de l’Armée royale danoise depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale s’achève par un succès retentissant !
Par Yann Mahé